RÉSISTER est le thème de cette exposition et bien sûr chacun connaît le sens de ce mot et ce qu’il implique : Le REFUS.
La résistance est autant physique que mentale, que psychologique.
Mais elle ne s’arrête pas là.
C’est aussi créer pour s’évader, pour sortir de la réalité.
Créer en dépit des conditions matérielles ou des interdits, être hors les normes esthétiques conseillées ou imposées.
Car résister, c’est aussi désobéir, s’insurger, tenir tête, c’est le non consentement.
Le philosophe dit que résister, c’est faire surgir de la nouveauté, inventer des issues, ouvrir des portes dans toute situation, quelle qu’elle soit.
Picasso dit que l’art est un instrument de guerre offensive et défensive pour résister à l’ennemi.
Alors regardons et écoutons ce que tous les artistes présents dans cette exposition ont à nous dire et quelles ont été leurs armes !
Véronique DÉTHIOLLAZ
Série Le Cercle de Craie
Tracer une ligne, la courber, l’arrondir. Faire cercle.
Fermer. Entourer. Enclore.
À partir de ce geste, il y a dedans et dehors.
C’est simple. Tragique ou rassurant. Cercle-refuge, cercle-prison.
C’est tout cela, mon Cercle de craie.
Un cercle de craie rouge dans un désert, où des petites personnes cheminent, errent, fuient, s’effondrent… mais dansent aussi quelquefois.
Des petites personnes qui attendent leur Azdak* sous un ciel parfois plombé, parfois clair.
* Le personnage du juge dans « Le cercle de craie caucasien » de Bertolt Brecht
* * *
Série Voyageurs en rond
Ces Voyageurs en rond transportent leur fardeau d’exil sur la bordure du chemin. Ils se balancent, ils nous regardent. Vont-ils rester dans le cercle et tourner en boucle, revenant sans cesse sur leur pas ? Ou vont-ils préférer le vertige, franchir cette lisière pour plonger dans le vide ?
* * *
Série Trois bulles d’enfance
Trois bulles d’enfance
Jouer avec un cerceau, jouer du tambour, se balancer… Habiter sa mémoire à en perdre la boule.
https://veroniquedethiollaz.ch/
Annette GENÊT
La ligne circulaire ?
Une ligne floue ou irrégulière, parfois invisible, mais bien présente. C’est en son centre que, d’instinct, j’ai choisi de me situer par rapport au thème de l’exposition.
Mon tempérament m’inclinant à l’exploration, cette ligne imaginaire ou même parfois bien réelle peut m’inspirer une idée d’encerclement, de privation de liberté, mais elle peut aussi, au contraire, me donner un sentiment de protection ou d’appartenance. Si d’aventure je me trouve en difficulté hors du cercle, je peux souhaiter ardemment m’y réfugier.
Le monde dans lequel nous vivons me paraît particulièrement inquiétant et les images qui ont surgi en moi se rapportent à la plus grande vulnérabilité de la vie, celle d’une étape qui nécessite une extrême attention pour parvenir à maturité. Par analogie avec tout ce qui est à son commencement et ne peut voir le jour sans une protection attentive, le nid s’est imposé à moi.
Ne cherchez pas de réalisme biologique dans ces œuvres, car il n’y en a pas. Mon souhait est que ces images évoquent la douceur d’une famille attentionnée, quelle qu’en soit la fragile espèce.
https://www.odexpo.com/profil-artiste.asp?id=4109
Guy SCHIBLER
La chasse au cercle
Exercice 1 (tirages sur papier) :
Par la photographie, montrer l’omniprésence de la forme circulaire dans le monde, produite aussi bien par la nature que par la main de l’homme. Au hasard des choses et des noms se constitue le début d’une liste infinie : (par ordre alphabétique) ampoule, anneau, arceau, assiette, auréole, ballon, bidon, bobine, bouée, boule, carrousel, cône, couronne, cuve, entonnoir, encyclie, feuille, flacon, fleur, fruit, horloge, jarre, lune, lustre, marmite, montre, meule, nid, oculus, œil, orbite, parapluie, poêle, puits, roue, rouleau, section, socle, soleil, spirale, table, tambour, tipi, tonneau, trou, tube, ventre, verre, volant, yourte… Chaque élément de cette liste apporte sa pierre à une « rêverie du cercle ».
Exercice 2 (diaporama sur tablette) :
Choisir un endroit que l’on aime (ici, ce sera Sa Granja, un musée de Majorque consacré aux traditions populaires de l’île). Partir à la chasse, traquer les formes circulaires. Et confirmer ce que l’on savait : elles sont partout et leur variété est extraordinaire.
https://guyschibler.ch/
Éric TISSIER
Techniquement mon travail consiste à créer des formes géométriques abstraites dans lesquelles interviennent des éléments simples : cercle, triangle, carré.
Dans la calligraphie japonaise, on pourra y reconnaître l’eau, la terre et le feu.
On est pris dans un double regard : réductionniste attaché au détail et holistique dans l’appréhension d’un tout.
Le choix des matériaux , bois, toile et acier se fait en fonction de la taille et de l’inspiration.
Ces compositions émanent d’une métaphore spaciale et graphique.
Le choix d’utiliser des symboles abstraits (glyphes) amène à donner une existence concrète à de nombreux mondes et rythmes invisibles.
www.erictissier.com
Jean-Philippe BOLLE
Vincent CROCHARD
Installé à la Mouille dans le Jura, Vincent Crochard confectionne ses drôles de créatures, expérimentant sans cesse de nouvelles techniques et divers matériaux.
Il extériorise ses émotions sous la forme d’une création organique, accouchant pour ainsi dire des organismes qui habitent son imaginaire.
Vincent Crochard est un autodidacte, les premiers artistes à l’avoir nourri dans sa création sont des artistes musiciens avec un univers visuel riche tels que Björk, Goldfrapp, Serge Gainsbourg ou Mylène Farmer, et il a en parallèle développé une passion pour le cinéma, la science-fiction avec Hayao Miyazaki, Tim Burton… mais aussi des réalisateurs plus conceptuels tels que Krzysztof Kieslowski, Andrei Tarkovski, Stanley Kubrick, Wim Wenders ou David Lynch.
Sa découverte de l’art brut a également été une grande influence pour lui notamment par sa spontanéité, ainsi que la liberté des artistes dans leurs créations.
Sa passion pour les sciences naturelles l’a amené à faire des études de biologie et à se former en taxidermie. Cela a été un émerveillement pour lui de découvrir la richesse de la nature de part ses études. C’est à tout cela qu’il doit aujourd’hui son univers entre biologie et science-fiction.
http://www.bizart-bizart.com/vincent-crochard/
Marc de ROOVER
Abstraction animiste
Marc de Roover est avant tout quelqu’un qui réalise de grandes installations en bois, dans le paysage. Ces grandes sculptures sont précédées d’études, l’endroit où elles seront placées est minutieusement examiné, elles sont réfléchies, calculées et des maquettes sont faites. Le concept de création vient avant la réalisation. Et ce concept est réalisé strictement et méticuleusement.
Avec les assemblages et les collages, il y a certainement plus de liberté dans le jeu. Concept et réalisation vont de pair. Mais les exigences sont tout aussi strictes que pour les grands projets sculpturaux. Chaque ligne, chaque clé de couleur, chaque élément doit contribuer. Rien pour rien. Il y a certainement de la place pour la coïncidence, mais chaque coïncidence est pesée, soigneusement et rigoureusement jugée avant d’être autorisée à jouer le jeu.
« Abstraction animiste ». Les formes ne représentent rien, mais sont chargées d’énergies presque corporelles, évoquant attraction et répulsion, amour et haine, coups et caresses, chute et fuite, concentration et expansion… en équilibriste, dansant sur une ligne harmonieuse.
La série d’assemblages est faite entre 2000 et 2016. Il s’agît de sculptures minuscules et minimalistes, assemblées de petits riens trouvés n’importe où, source riche d’étonnement. Elles sont présentées dans des boîtes en bois, avec passe-partout.
La série de collages, également présentés avec passe-partout, est plus récente, elle a commencé avec le premier confinement et elle continue à élargir. Ce sont des segments de photos de journal collés sur du papier de dessin, protégé par un vernis mat anti UV.
La technique de l’assemblage permet de réduire, d’enlever à fin de sauvegarder l’essentiel.
La technique du collage oblige à ajouter à fin de trouver le meilleur équilibre.
Aussi bien les assemblages que les collages sont faits dans la marge des grands projets mais gagnent en importance dans la vie de l’artiste.
Ozenay, le 19 mai 2022
https://marcderoover.eu
Carmen CALDAREA BAYENET
La création artistique a d’abord été pour moi le lieu d’un rapport quasi charnel entre la nature et le divin. J’ai consacré de nombreuses années à des créations qui s’inspirent de peintures religieuses traditionnelles de Transylvanie, dans lesquelles Jésus et les saints prennent place au milieu de décors ruraux, entourés d’arbres, de fleurs et de vignes. Petit à petit, la tradition a cédé le pas à des œuvres de plus en plus autonomes, qui posent des questions à la manière des postmodernistes, et tentent de redéfinir le lien entre l’humain (l’artiste), la nature (le corps), le divin (l’idéal). Mon travail est à la croisée des chemins entre un profond enracinement dans la tradition, et une remise en question permanente de celle-ci.
Catherine GLASSEY
Je pratique le moulage depuis de nombreuses années. Le fait de «saisir le vif » en reproduisant des fragments de corps ou d’objets et de les recombiner autrement, me permet de questionner le réel, de poser un regard différent sur les choses.
« Il n’y a pas qu’une seule réalité. Il existe plusieurs réalités. Il n’y a pas qu’un seul monde. Il y en a plusieurs, et ils existent tous parallèlement les uns aux autres, mondes et anti mondes, mondes et mondes fantômes, et chacun d’entre eux est rêvé ou imaginé ou écrit par un habitant d’un autre monde. Chaque monde est la création d’un esprit ».
Seul dans le noir de Paul Auster
Uta RICHTER
Uta Richter est une artiste berlinoise qui vit et travaille à Genève. Dans ses œuvres, elle se tourne vers le passé pour traquer la nature humaine.
La série « Berlin Ghost Stories » suit cette logique. Ce sont des assemblages dessinés et collés sur le fond sérigraphié du paysage industriel aujourd’hui démoli de Berlin-Treptow.
L’artiste aborde les actes d’équilibriste entre opportunités manquées et vécues, amour de la vie et violence, utopie et nostalgie, individualité et norme.
À partir de ces zones de tension, une perception dialectique de sa propre histoire veut s’ouvrir au regard du spectateur.
http://uta-richter.net/Texte/france/startf.html
VITRINES
Claude BERNACHOT
Je fais de la « street photography », de la « photographie de rue ».
Je photographie les gens dans leur environnement. Par sa composition, le photographe organise le chaos, structure l’espace.
Il ne doit pas porter son attention uniquement sur la ou les personnes photographiées, mais aussi sur ce qui se passe derrière ou devant elles.
Ici, sans être le sujet principal de la photographie, les vitrines et leurs surfaces vitrées, utilisées comme arrière-plans, premiers plans, motifs ou par ce qu’elles reflètent, sont un élément important dans l’organisation de l’image.
Dans les diptyques, le photographe va chercher à mettre en relation, entre deux images, des éléments – formes, gestes, couleurs – qui vont tisser entre elles des correspondances, créer des résonances et qui, d’un bord à l’autre du cadre, vont se faire écho.
Jacques GUYOT
Le travail proposé pour cette exposition « Vitrine » est basé sur quatre photographies qui sont prises à travers une vitre donc « Vitre In ». Dans ce cadre vient s’inviter une autre œuvre photographique en rapport avec la photo.
Cette oeuvre photographique est un cyanotype (Herschel 1842).
Ce procédé permet d’obtenir un négatif sans appareil de photo, avec des pauses longues de trente minutes et une source d’ultra-violet (Soleil). Le développement se fait avec de l’eau.
Les techniques photographiques numériques sophistiquées invitent la simplicité du procédé du cyanotype et, par là même, créent une vitrine virtuelle pour ces œuvres bleu Prusse.
Éric MEYLAN
Pour cette exposition sur le thème des vitrines, j’imaginais, au départ, des prises de vues à l’intérieur des commerces, avec des client(e)s, car je voulais qu’il y ait de la vie dans ces images.
Devant les évidentes difficultés de réaliser cette idée et l’arrivée du Covid, j’ai modifié mon approche : dans chacun des commerces visités, j’ai demandé au vendeur ou à la vendeuse présent(e)s de se placer devant sa vitrine et de cacher son visage (Covid oblige ! ) avec un objet prélevé dans son étalage.
Les photos, en plan large, montrent aussi bien les vitrines que les humains dans cette période si particulière.
Aline PÉRIER
Y a-t-il une vie après les vitrines ?
Elles sont belles, longues et parfaites.
Elles portent dans les vitrines tous objets de désir, robe, tailleur, chapeau, sac à main.
Plus qu’être à la mode, elles sont La Mode.
Jusqu’au jour où, même si leurs pommettes sont toujours hautaines, leurs yeux faits et leur teint lisse, elles se démodent.
Elles n’ont pas changé, pourtant elles ont vieilli. Ce n’est plus leur tour d’être belles.
Alors c’est la mise au rebut. Nues et démembrées, retirées du circuit, destinées à la casse et soustraites aux regards, il leur reste un dernier passage sur le trottoir avant l’arrivée du camion-benne ou, pour les plus chanceuses, du brocanteur.
Là le temps et l’oubli les effritent, les pâlissent et les blessent. La photographe Aline Perier y voit un parallèle avec nos vies humaines, où la vieillesse aussi peu à peu rend les femmes invisibles.
Et pourtant. En leur apportant sa lumière et son regard, en proposant de nouveau ces beautés idéales d’autrefois à nos yeux soudain ouverts et bienveillants à leurs imperfections, elle leur confère une autre vie.
Alors ce n’est plus de la mode. C’est de l’art. Et sans nul doute, un art de vieillir, et de vivre.
Texte : Sylvie Overnoy
Fabienne PÉRY
Quel sujet à explorer en pleine pandémie !
J’ai donc choisi de me mettre en scène dans des vitrines qui racontent 12 mois de confinement, restrictions et replis sur soi.
Heureusement, l’art nous garde une grande liberté et c’est avec enthousiasme que j’ai créé chaque jour une vitrine différente qui exprime ce que j’ai fait pendant une année de pandémie. Une seule fois au théâtre sur toute une saison d’abonnement ! ; la famille en images, les tâches quotidiennes, l’art, des travaux dans la maison, et… Noël.
Toute une année en vitrine !
Guy SCHIBLER
Par le mot vitrine, nous entendons ici, banalement, la devanture vitrée d’un local commercial. En quoi la vitrine peut-elle intéresser la photographie ?
La vitrine de magasin, c’est à la fois un cadre dont les quatre bords sont reliés par une vitre et, derrière cette vitre, une élaboration visuelle qui hésite souvent entre le bi- et le tridimensionnel : surface dilatée dans la profondeur ; volume fortement aplani. Un cadre qui délimite un champ, donc. Ou un champ qui remplit un cadre. L’analogie entre vitrine et photographie apparaît immédiatement. Photographier une vitrine, c’est par conséquent produire une mise en abyme : mettre un cadre dans un cadre, un champ dans un champ.
Une vitrine maintient le passant à distance de ce qu’elle montre. C’est pour lui la source d’un certain confort, car il n’est pas obligé d’acheter, il n’est pas obligé d’entrer dans le magasin. On lèche la vitrine, on ne la mange pas. Une vitre est là pour séparer regardeur et regardé ; devant et derrière la vitre, ce n’est pas le même monde. Nous sommes mis en position de spectateurs face à des objets exposés, mis en scène, montrés avec ostentation… Tout cela pourrait être dit aussi de la photographie.
Comme tout spectacle, la vitrine ne produit de la distance que pour mieux attirer. C’est l’éternel paradoxe de la séduction, ici adapté aux codes du visual marchandising. Dans sa vitrine, par sa vitrine, un magasin fait le beau. Elle est sa parure, son maquillage parfois, une incitation et une invitation à entrer, à aller y voir de plus près, et à acheter ensuite, bien sûr. Fabrique d’illusion et de désir, elle est à la fois appât et promesse.
Et comme tout spectacle qui finit par nous offrir un miroir de nous-mêmes, il arrive bien souvent qu’une vitrine nous renvoie en reflet notre propre image, que le passant y aperçoive soudain sa propre tête au milieu des choses à vendre. Le voilà flatté d’être intégré à l’image. La vitrine est, comme peut l’être la photographie, un miroir de Narcisse.
Les textes et légendes de cette double série de photographies doivent beaucoup à Sandrine Le Corre et à son ouvrage Esthétique de la vitrine, Paris, L’Harmattan, 2018.
Mémoires de l’eau
L’eau est porteuse de mémoire disait Gaston Bachelard.
Le grand cycle de l’eau marque le temps, les paysages, les matières et les cultures.
Des points les plus hauts jusqu’aux grandes profondeurs, l’eau circule et modèle la géographie, façonne les cultures et les imaginaires.
Le projet d’exposition porte sur les formes, les histoires et la poésie liés à cet élément essentiel.
Quelques axes de recherche ont été explorés lors de la préparation des travaux :
- les traces sur la matière, cartographies sensibles…
- l’eau enfouie et retrouvée, les grottes et mers cachées…
- anthropologies des réseaux, mémoires des fleuves et des rivières, les métiers de l’eau…
Quinze élèves de l’École des Beaux Arts d’Annecy ont travaillé sur ces thèmes et vous en présentent le résultat dans cette exposition.